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A Propos De Guermaz

  • Le cercle des amis de Guermaz
  • Abdelkader Guermaz est un peintre non figuratif de la nouvelle Ecole de Paris,l'ainé de la génération des fondateurs de l'art algérien moderne.

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24 octobre 2008 5 24 /10 /octobre /2008 09:19

Quelques souvenirs d’Abdelkader Guermaz liés à notre vie

par Colette Rouillon

Septembre  2008

 

Nous avons découvert avec émotion en 1969 au CRDP à Orléans, où nous habitions, les toiles de Guermaz, blanches, avec des traces fissurées d’ombre, sensibles mais maîtrisées.

 

Chez des amis communs nous avions rencontré Marcel Reggui à l’origine de l’exposition  où elles étaient présentées aux Semaines Musicales d’Orléans. Celui ci nous a communiqué son  adresse au 26, quai du Louvre, un minuscule espace de vie sous les toits. Un seul petit tableau figuratif au mur, nature morte aux cerises, émouvante « mon premier tableau », disait il.

 

Par la fenêtre velux, Paris et ses toits sous la brume, berges et arbres estompés, un miracle de poésie de la couleur de ses toiles... Tout était bien rangé. Figure de l’artiste mythique dans l’ascèse, la solitude et la poésie.

 

Lui était bien présent dans une rencontre directe, simple. Portait il son gilet gris et cette écharpe indienne nouée au cou : par frilosité ? Petite coquetterie particulière ? Barbiche et regard d’aigle vif -un petit type gourou, mais sans le goût d’établir une domination sur l’autre.

 

Il posait sa personne. Il était.

 

Nous avons parlé succinctement de sa formation aux Beaux-arts d’Oran. Il sortit une petite valise de dessous de son lit et en extirpa une critique découpée dans l’Echo d’Oran. Il dit avoir été obligé de partir d’Algérie mais sans donner de détails.

 

Il parlait beaucoup mais sans donner de détails de sa vie intime ; pourtant confiant.

 

Il s’absentait longuement pour amener des tableaux de « chez Mademoiselle Rouault ».

 

Il parlait de son goût de la musique et en particulier de Debussy, d’une analogie entre certaines de ses peintures et de « La Cathédrale engloutie ».

  

            Je regretterai toujours d’avoir choisi trop vite une seule gamme de tableaux à dominante blanche. Notre bébé s’agitait un peu et nous ne voulions pas trop le déranger. Il insistait pourtant pour nous montrer «  autre chose ».

 

Nous avons choisi 4 ou 5 petits tableaux, il en a offert deux, dont un de 20x20 à notre bébé. « Il le gardera toujours » dit-il.

 

Attentif, généreux, presque gêné de vendre. Il disait qu’il fallait acheter les matériaux, que le dentiste était cher et l’opticien aussi... comme pour s’excuser.

 

Les peintres manipulent leurs tableaux avec moins de précaution que nous, nous le lui avons fait remarquer… Ne vous inquiétez pas ! Je suis sûr de la solidité de ma peinture, ce n’est pas comme beaucoup d’autres ! Il n’y en a pas d’autres qui encadrent comme ça ». C’était vrai que ses encadrements de bois étaient très habiles et soignés.

 

En présentant son travail il le jaugeait, parfois étonné de l’avoir oublié.

 

Puis nous avons quitté Orléans en 71 pour retrouver la région parisienne. Nous habitions à Châtenay-Malabry, banlieue sud. Plus proches, nous avons mieux suivi ses expositions à la galerie « Entremonde ».

 

Nous avons rencontré Guermaz chez nous, seul ou avec des amis, en particulier  Monsieur et Madame Reggui.

 

Après le vernissage, j’ai le souvenir d’une toile trop grande pour être transportée dans une auto. Mon mari et Guermaz l’ont portée sur la tête pour traverser la Seine par vent et pluie. Chahutée, elle s’envolait... « Ne vous inquiétez pas, elle est solide, elle résistera ! ».

 

Nous avons dîné chez le « Chinois » comme il en avait l’habitude (il était très fidèle aux lieux). Il avait très peu d’appétit, trop habitué à des repas irréguliers, simplifiés, pauvres... et se plaignait des dents.

 

Nous nous souvenons d’un repas jusqu’à 2 ou 3 h du matin. Un vrai flot de paroles. Il nous présentait ses recherches. Il écoutait, mais parlait, parlait... Il abordait les sujets touchant à la spiritualité, à la culture, avec intelligence, sensibilité, mysticisme, mais aussi pragmatisme et nous entretenait de techniques artistiques.

 

Il citait  Moïse, Jésus, le Bouddhisme, le Coran, le Livre des Morts égyptien, et les livres tibétains. Il croyait à la lévitation. Aucun syncrétisme, mais une quête de ce qui lui paraissait bon dans chaque chose. Mots simples pour des idées très fortes. Il y avait de la certitude dans la connaissance et dans la foi. Il respectait notre christianisme. Il nous a sensibilisés au Soufisme, sans trop le citer et sans s’en déclarer adepte. Il nous a ouvert des chemins au carrefour des grandes civilisations, sans aucun endoctrinement, leçon pour aujourd’hui. Il enrichissait nos croyances et notre éveil.

 

Guermaz était un homme cultivé, un excellent psychologue, un peu medium. Il était un Sage qui ne s’affirmait pas Sage. Il était éveilleur de conscience et avait le regard et la sensibilité de l’artiste.

 

En 1976, à la galerie « Entremonde », nous avons acheté une toile intitulée  « Falaises ». Nous l’avons tout de suite aimée et continuons à l’aimer pour sa luminosité particulière, son silence, sa matière blanche et nacrée, comme du sable fin du désert. Intime, singulière, émouvante, ses différents plans (ciel, terre, eau) sont unis par un lien de nature spirituelle. Dans les détails, dans les interstices, une subtilité de couleurs et des formes propres à l’Afrique du Nord, comme une mémoire émouvante, vibrante, et vive bien qu’enfouie... poésie pure… silence... Guermaz y est tout présent dans sa sensibilité pudique, son ascétisme, son mysticisme et son talent d’artiste, sans esbroufe, autre leçon pour aujourd’hui.

 

Nous n’avons jamais trop longuement parlé de l’Algérie, non par censure, mais peut être parce qu’après en avoir trop dit ou trop entendu nous avions envie de garder enfouis ces souvenirs douloureux pour tous. Il ne nous a jamais trop parlé de politique, mais il disait choisir  « ceux qui n’ont pas trop de hargne ou de haine dans leur visage... ». 

 

Nous avons quitté la région parisienne en 1977, pour Nantes puis Le Mans, Rennes et à nouveau Nantes en 1996. Pendant cette période nos relations avec Guermaz se sont maintenues par correspondance par « chats interposés »... puis un long silence. Nous avons été très touchés d’apprendre sa disparition en 1998 par un retour de courrier...

 

« Décédé ».

 

Ce n’est qu’en 2003, en arrivant trop tard à l’exposition Guermaz à Paris, que nous avons rencontré Pierre Rey qui nous a donné quelques précisions sur la fin de vie de notre ami et nous a entretenus des projets que d’ores et déjà les amis de Guermaz formaient pour faire sortir son œuvre de l’oubli.

 

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